Commentaire sur le film SLALOM de CHARLÈNE FAVIER
« L’homme est un loup pour l’homme »
Thomas Hobbes
« Les contes pour enfants sont source de sagesse. Sinon pour quelle raison traverseraient-ils les époques? Cendrillon s’efforcera de quitter le bal avant minuit; le Petit Chaperon Rouge se méfiera du loup et de sa voix enjôleuse; la Belle au bois dormant se gardera d’approcher son doigt de ce fuseau à l’attrait irrésistible; Blanche-Neige se tiendra éloignée des chasseurs et sous aucun prétexte ne mordra la pomme, si rouge, si appétissante, que le destin lui tend… »
Vanessa Springora, Le Consentement, Paris, Grasset, 2020 (extrait)
IL ARRIVE PARFOIS (SOUVENT?) QUE L'HOMME SOIT UN LOUP POUR LA FEMME
LE PETIT CHAPERON ROUGE
Dans mon cabinet de consultation, tout juste à côté d’un bac à sable utilisé comme mode ludique d’expression, à l’instar de l’écriture et du dessin spontanés, j’ai placé une figurine vraiment touchante du Petit Chaperon Rouge. On connaît tous l’histoire de cette petite fille qui, à la suite de la demande de sa mère, apporte dans son panier une galette et une bouteille de vin pour mère-grand, vivant dans une forêt profonde. Dans Les Contes des frères Grimm (Flammarion, 1967, p. 160), son histoire commence ainsi…
« Il était une fois une adorable petite fillette que tout le monde aimait rien qu’à la voir […] lorsque le Petit Chaperon Rouge entra dans la forêt, ce fut pour rencontrer le loup. Mais elle ne savait pas que c’était une si méchante bête et elle n’avait pas peur. »
LE CONSENTEMENT
Dans son ouvrage Le Consentement (voir sur YouTube l’entrevue qu’elle a accordée à François Busnel, le 15 janvier dernier, à l’émission La Grande Librairie), Vanessa Springora relate que, lorsqu’à l’âge de quatorze ans, elle a entamé une relation amoureuse avec l’écrivain Gabriel Matzneff, bien connu pour son éloge de la pédophilie, elle était loin de se douter qu’elle avait affaire à un prédateur sexuel, le « pervers » qu’on lui a tant de fois dépeint, le « salaud absolu », l’« ogre ». Fille de parents divorcés, soit d’une mère soixante-huitarde et d’un père ignominieusement absent, à quinze ans elle découvrira qu’elle a été trompée, flouée et abandonnée à son sort. Et à 25 ans, après la lecture de ce que G. M. a rapporté dans ses romans et journaux personnels de leurs ébats sexuels et de leur rupture, elle éprouvera le sentiment d’une existence gâchée avant d’avoir été vécue.
« Depuis, confiera-t-elle dans Le Consentement, j’ai connu beaucoup d’hommes. Les aimer n’était pas difficile, leur faire confiance, c’est une autre histoire. Toujours sur la défensive, je leur ai souvent prêté des intentions qu’ils n’avaient pas : m’utiliser, me manipuler, me tromper, ne songer qu’à eux. […] Chaque fois qu’un homme tentait de me donner du plaisir, voire, pire encore, de prendre du plaisir à travers moi, il me fallait toujours lutter contre une forme de dégoût, tapie dans l’ombre, prête à fondre sur moi, contre une violence symbolique que je plaquais sur des gestes qui en étaient dénués. […] Il m’en aura fallu du temps pour me laisser aller avec un homme, sans l’aide d’alcool ou de psychotropes. Pour accepter sans arrière-pensée de m’abandonner à un autre corps, les yeux fermés. Pour retrouver le chemin de mon propre désir. Il m’aura fallu du temps, des années, pour enfin rencontrer un homme avec qui je me sente pleinement en confiance. […] J’ai beau être adulte, dès qu’on prononce le nom de G. devant moi, je me fige et redeviens l’adolescente que j’étais au moment où je l’ai rencontré. J’aurai quatorze ans pour la vie. C’est écrit. »
SLALOM
Ava, Antigone, La Déesse des mouches à feu, SLALOM, tous autant de films mettant en scène des adolescentes, et qui auront fait l’objet des chroniques du Ciné-psy, au cours des années récentes. Comme si, suis-je enclin à penser, c’est dans ce monde de l’adolescence – monde de transition entre l’enfance et l’âge adulte – et plus particulièrement dans le monde de l’adolescente – traditionnellement vouée comme femme à la soumission – que de nouveaux modèles du rapport à l’autre sont susceptibles de voir le jour, confrontés comme nous sommes, en ce XXIe siècle, aux lamentables échecs du modèle masculin au pouvoir, un pouvoir qui n’a de cesse de se fossiliser dans le registre de la manipulation, de l’abus et du mensonge.
SLALOM, fiction cinématographique qui s’inspire d’une douloureuse expérience vécue par Charlène Favier, sa réalisatrice, du temps de son adolescence dans le domaine du sport, met en scène Lyz, quinze ans, fille de parents séparés et absents, au moment où elle commence à faire ses preuves dans le ski de compétition, sous la houlette de Fred, ex-champion dans ce domaine. Fred, dans cette histoire, incarne une autorité à la fois agressive comme instructeur et complimenteuse comme séducteur. Bien que choquée par les exigences ultra-autoritaires de son beau moniteur, Lyz n’en investira pas moins toute son énergie afin de satisfaire ses attentes de victoires. Elle triomphera… dans les compétitions. Mais, dans la foulée de celles-ci, elle devra bientôt se soumettre à la traumatisante expérience d’être déflorée sans son consentement. À vous de découvrir, en visionnant ce film d’une exceptionnelle qualité à tous points de vue, ce qui résultera d’un tel abus. Il vous viendra alors sans doute à l’esprit ce que Vanessa Springora évoque dans Le Consentement, comme suites de sa propre expérience. Un livre qui, au dire de son auteure, aura vu le jour grâce à la courageuse et brillante dénonciation des abus de Matzneff par notre Denise Bombardier nationale, lors d’une émission d’Apostrophes animée par Bernard Pivot, il y a 30 ans.
DE L'USAGE POTENTIELLEMENT THÉRAPEUTIQUE DE LA BLESSURE
Réalisant que Matzneff ne lui avait que très peu confié de ce qu’il avait vécu de significatif, au temps de sa jeunesse, Springora en vint à découvrir que celui-ci avait été, à l’âge de treize ans, sexuellement abusé par un homme proche de sa famille. Un événement également troublant avait été révélé par Fred à Lyz, lors d’un rare moment d’intime confidence : victime d’un accident faisant suite aux compétitions dans lesquelles il avait triomphé, on lui avait fait sentir que, dorénavant, il n’aurait plus de valeur dans le monde de la compétition sportive.
Pouvons-nous, petits ou grands blessés que nous sommes, parvenir à une guérison telle que notre rapport à l’autre, plutôt que de s’inscrire dans une pathologique répétition, nous vaudrait d’avoir accès au bonheur? Pouvons-nous, à l’écoute de l’histoire d’Ava, d’Antigone, de Catherine/déesse des mouches à feu, et de Lyz/championne en ski, nous imaginer dans un monde à venir, sain et heureux?