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Chroniques Antigone

Antigone

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Commentaire sur le film ANTIGONE de Sophie Deraspe

L’ADOLESCENCE ET LES ANTIGONES DU TEMPS PRÉSENT

par Marcel Gaumond


« Je crois qu'il n'a été donné qu'à un seul texte littéraire d'exprimer la totalité des principales constantes du conflit inhérents à la condition humaine. Elles sont au nombre de cinq : l'affrontement des hommes et des femmes, de la vieillesse et de la jeunesse, de la société et de l'individu, des vivants et des morts, des hommes et de(s) dieu(x).»

Georges Steiner, Les Antigones, Ed. Gallimard, p. 253

Un récit des temps anciens pour éclairer les drames d’un temps nouveau

Sans doute nous faut-il un mythe, une légende, un grand récit venu du fond des âges pour nous permettre de comprendre ce qui se passe dans le temps présent. Une Antigone de l’Antiquité pour éclairer les agissements et le destin des Antigone d’aujourd’hui. C’est du moins ainsi que Sigmund Freud et Carl Gustav Jung ont pu asseoir leurs théories, le premier en s’inspirant du mythe grec d’Œdipe, le père d’Antigone et le second en trouvant dans le mythe allemand de Siegfried ce qui, à ses yeux, était de nature à démontrer que les opposés destruction et création procèdent d’un même noyau dynamique. « Tout dépend de… » ce que l’on fait avec ce qui nous échoit comme valeurs et personnes à défendre, comme décisions difficiles à prendre, comme injustices à combattre, comme destin que l’on sent devoir réaliser en dépit des obstacles qui l’entravent.


Œdipe et Antigone (œuvre de Eugène-Jean Damery, 1843)

Plus ou moins à notre insu, notre rapport au monde est déterminé par la matrice culturelle dans laquelle ont chuté ou évolué nos ancêtres et par les enseignements contenus dans les récits qu’ils nous ont transmis, nous dira Nancy Houston dans son essai L’espèce fabulatrice (Ed. Actes sud). Récits religieux, philosophiques, romantiques, guerriers ou … financiers.

L’Antigone de Sophocle (441 av. J.-C.)

Après qu’Œdipe se fut découvert parricide et incestueux, il décida de renoncer à gouverner la ville de Thèbes. Il revenait alors à l’un de ses fils, Étéocle et Polynice, d’accéder au trône de la ville, ce qui les amena à décider d’occuper ce trône en alternance. Mais après que Polynice ait fait son temps, il refusa de céder la place à son frère Étéocle, comme précédemment convenu : ce qui lui valut d’être chassé de la ville. Loin alors d’entendre raison, il décida alors de faire appel à l’armée d’Argos et d’attaquer les Thébains afin de reprendre le pouvoir sur la ville. Ce qui s’ensuivit vint concrétiser la prédiction d’Œdipe. Les deux frères s’entretuèrent et c’est leur oncle Créon, frère de Jocaste, qui monta sur le trône et qui, en représailles à l’égard de Polynice le traître, refusa qu’on offre à celui-ci une sépulture.

Antigone et Ismène enterrant Polynice (œuvre de Marie Stillman, 1873)

Pour Antigone, un tel refus allait à l’encontre de ses valeurs religieuses et elle transgressa l’interdit décrété par Créon en accomplissant elle-même pour son frère le rituel mortuaire qu’elle estimait lui être dû. Créon n’allait pas accepter de se faire damer le pion par une femme et il condamna celle-ci à être emmurée vivante pour son crime de lèse-majesté. Pour sa défense, elle dira : « Je ne suis pas faite pour haïr, mais pour aimer. »

L’Antigone de Deraspe (2019 ap. J.-C.)

Dans le film de Sophie Deraspe, la jeune Antigone à laquelle nous avons affaire estime qu’il est de son devoir de libérer son frère Étéocle de la prison, après que leur frère Polynice fut tué par un policier venu effectuer une descente pour des raisons de commerce illicite. Révoltée devant un système judiciaire qui s’en prend aux citoyens les plus vulnérables de la société mais qui protège ses agents aux comportements violents - et on pense là aux éloquentes statistiques démontrant les injustices commises à l’égard des minorités – Antigone est prête à se sacrifier. En guise de solidarité, elle est prête à tout perdre : sa liberté, sa relation amoureuse, sa naturalisation. Et cela, après avoir déjà perdu beaucoup : ses père et mère assassinés par le pouvoir en place dans son pays d’origine et ses racines dans ce pays. Pour sa défense, elle dira : « Mon frère tend les bras pour que quelqu’un les prennent mais personne ne les prend…

 

Antigone (Nahéma Ricci) dans le film de Sophie Deraspe

Que cette Antigone contemporaine ait été choisie pour représenter le Canada lors de la prochaine cérémonie des Oscars n’est sans doute pas étranger à ce qu’elle incarne symboliquement dans le contexte socio-politique actuel. Un contexte au sein duquel, les Créon/gouvernants des pays les plus puissants de la planète se targuent de fonder leurs décisions sur des principes rationnels tels les règles à respecter, la prospérité économique, la nécessaire compétitivité, la sécurité à assurer, mais qui, ce faisant, font fi de ce qui est de nature, profondément, à rendre viable et heureux l’avenir de l’espèce humaine : la solidarité, justement (!), l’ouverture à l’autre, la compassion à l’égard des réfugiés et des plus démunis, l’écoresponsabilité à l’égard de ce qui doit être respecté et protégé pour la survie et le bien-être de l’ensemble des espèces vivantes de cet oasis (Pierre Rhabi) qu’est la planète bleue. Le Terre, cette poussière d’étoiles (Hubert Reeves) perdue au sein d’un univers réputé jusqu’aux dernières nouvelles pour être désertique !

Les multiple Antigone des temps passés et présents

Le brillant et prolifique écrivain anglo-franco-américain Francis-George Steiner a recensé dans son ouvrage Les Antigones, pas moins de deux cents versions de ce récit mythique d’origine hellénique, d’Eschyle et Sophocle à Anouilh et Cocteau, en passant par Garnier, Racine, Alfieri, Marmontel, Hegel et Hölderlin. Ce qui démontre à quel point ce personnage et le défi tragique qu’il met en scène se trouve au cœur de l’inconscient collectif de l’Occident.


Greta Thunberg, à la tribune de l’ONU, le 23 septembre 2019

Lorsque la suédoise Greta Thunberg a versé des larmes de colère, le 23 septembre dernier, à la tribune de l’ONU, en fustigeant l’inaction des dirigeants de la planète pour leur inaction contre le changement climatique, elle a pu sans doute trouvé un certain réconfort en apprenant l’impact qu’a pu avoir son action sur de nombreuses autres jeunes Antigone du temps présent : l’ougandaise Leah Namugerwa (15 ans), la thaïlandaise Ralyn Satidtanasarn (15 ans), l’américaine Alexandria Villasenor (14 ans), la polonaise Inga Zasowska (13 ans), la Belge Youna Marette (17 ans), la française Iris Duquesne (16 ans), … De voir l’Antigone de Sophie Deraspe nous rappellera l’extrême importance du type de défi que toutes ces adolescentes osent relever face aux autorités actuelles, souvent trop aliénées par leur soif de pouvoir. Des jeunes qui, à cet âge de transition entre l’enfance et le monde adulte qui caractérise l’adolescence, sont susceptibles d’être tout particulièrement sensibles et lucides quant à cette nécessaire autre transition que doit parvenir à vivre l’espèce humaine, au cours des années qui viennent, pour éviter l’autodestruction.

INVITATION

Vous êtes cordialement invités à une Rencontre du Ciné-psy sur le film ANTIGONE, avec Élisabeth Arsenault, étudiante à l’U.L., au bac multidisciplinaire en anthropologie-archéologie-histoire & Sivane Hirsch, professeure à l’U.Q.T.R.

Le 3 décembre 2019, de 18h00 à 19h (buffet) et de 19h00 à 21h30 (conférence et échange)

Les Rencontres du Ciné-psy ont lieu désormais au restaurant L’Épicurien situé au1292

av. Maguire à Québec.

Tout changement à ce programme sera porté à votre attention dans les infolettres du

Clap et du Ciné-psy ainsi que sur les sites Clap.ca et Cine-psy.com.

Pour recevoir l’infolettre du Ciné-psy et réserver votre place pour cette rencontre, communiquez votre adresse de courriel à Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. .

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CItation

« Après avoir fait courir les cinéphiles de Québec pendant 25 ans, l’heure est maintenant aux adieux pour les Rencontres Ciné-Psy. Un total de 125 rencontres ont eu lieu à travers toutes ces années, dont certaines ont mis en vedette des journalistes du Soleil.

 

C’était devenu une vénérable institution pour les amateurs de long métrage dans la Capitale-Nationale. «On avait des gens qui venaient à toutes les Rencontres, c’était de véritables fidèles», confie Marcel Gaumond, celui qui est derrière le projet depuis le tout début.

[...]

La formule des Rencontres était toute simple. Il s’agissait de réunions où l’on débattait d’un film et des enjeux qu’il soulève. La discussion tournait non seulement autour d’un long métrage, mais était aussi nourrie des propos d’un conférencier.

[...]

L’idée de génie lui est venue lors d’un souper avec le directeur du cinéma Le Clap de l’époque, Michel Aubé, en 1995. L’étincelle n’a pas été causée par les réminiscences des auberges de Zurich, mais bien par des souvenirs ancrés ici, sur le chemin Sainte-Foy. «Quand j’avais 19 ans, on avait fondé une boîte à chansons où il y avait eu non seulement des chanteurs, mais des expositions artistiques, du théâtre, etc. [...] Alors je dis à Michel, qu’est-ce que tu dirais si on faisait des rencontres, mais sous forme de discussions qui porteraient sur des films ?» raconte M. Gaumond. Des réunions à saveur artistique comme celles qui avaient lieu dans les boîtes à chansons, auxquelles on ajoute les discussions chaleureuses des auberges de montagne, voilà qui en faisait une idée très originale.

 

Semble-t-il qu’elle n’était pas trop éclatée pour M. Aubé, puisqu’il aurait tout de suite accepté l’offre. Ce fut un choix judicieux, car les Rencontres sont devenues très populaires au fil du temps. [...] »

 

Extraits de l’article « Les rencontres Ciné-Psy auront duré un quart de siècle »