DANS L'BON VIEUX TEMPS DU COMMERCE D'ANTAN
Au temps de nos parents – devrais-je dire « au temps de nos ancêtres »? – lorsque nous avions besoin de nous procurer un article, un livre, un outil, un vêtement, un jouet… nous nous rendions dans un magasin qui nous était familier et c’était un plaisir presque assuré que d’échanger avec le commis qui allait nous guider vers ce que nous cherchions, voire nous aider à choisir ce qui allait le mieux convenir à nos besoins et à nos intérêts. Aujourd’hui, de plus en plus, notre recherche se fait sur Internet et les produits que nous commandons par voie électronique nous sont livrés à domicile, en exigeant tout au plus, outre un paiement par carte de crédit, une signature.

L'HOMME LE PLUS RICHE DU MONDE, À LA TÊTE D'UN COMMERCE ÉLECTRONIQUE
Commerce lucratif, s’il en est : Amazon, soit la compagnie la plus connue de ce commerce en ligne, affichait 882 milliards de dollars en termes de capitalisation boursière, au 30 octobre 2019. Son fondateur et directeur général Jeffrey Bezos, originaire d’Albuquerque au Nouveau-Mexique, est l’homme le plus riche au monde avec une fortune personnelle de 124,2 milliards de dollars US. Quel formidable succès d’entreprise, n’est-ce pas?

UN COMMERCE OÙ LES EMPLOYÉS SONT TRAITÉS COMME DES ESCLAVES
Mais inévitablement, la question se pose : qui fait les frais d’un tel empire? Plusieurs enquêtes effectuées récemment dénoncent en effet « les conditions de travail pénibles et brutales » des employés œuvrant dans les gigantesques entrepôts d’Amazon où se préparent les millions de commandes des internautes. Dans une enquête effectuée par le Business Insider, on souligne les longues heures exténuantes auxquelles sont soumis les employés. Au dire d’une ancienne employée : « C’est comme faire onze heures et demie de cardio cinq jours par semaine… Vous montez et descendez les escaliers, vous vous accroupissez, vous vous mettez à genoux, vous vous redressez… ». Dans une autre enquête, effectuée, celle-là, par le New York Times, on relève le fait que « les employés considérés comme de bons éléments sont surnommés les Amabots, littéralement les “robots d’Amazon” ». Et d’anciennes employées racontent comment elles ont été remerciées de leur poste après avoir eu un cancer du sein ou subi une fausse couche, en raison de suspicions quant à l’efficacité de leur travail.

DÉSOLÉ DE VOUS AVOIR MANQUÉ, sans nommer cette entreprise, met l’accent sur le volet « livraison ultra-rapide à ses clients » qui vaut à un commerce du Royaume-Uni d’être classé numéro 1 dans le champ de telles entreprises. Ricky, homme à tout faire, soucieux d’améliorer le sort de sa petite famille et, si possible, de lui offrir enfin une maison, se met en tête de jouer gagnant pour une bonne fois en se faisant livreur pour ce commerce. Pour rendre cela possible, lui et Abby, son épouse, ont dû toutefois mettre tous leurs œufs dans le même panier : Abby qui de son côté travaille pour un modeste salaire, comme aide à domicile, a accepté de vendre sa petite voiture afin de permettre à Ricky d’acheter son camion de livraison. Ce qui allait l’obliger à ajouter à ses nombreuses heures de travail d’autres heures pour son transport en autobus. Misère.

DÉSOLÉ DE VOUS AVOIR MANQUÉ, c’est aussi l’histoire de Lyza Jane et de Seb, les enfants de Ricky et Abby. Lyza Jane, brillante petite fille de onze ans, rousse comme son père et au grand cœur comme sa mère, puis Seb, seize ans, qui sous une apparence qui n’en laisse rien paraître, cache lui aussi une belle intelligence et des talents artistiques qui prennent marginalement le dessus sur un conformisme qui en ferait autrement un premier de classe. Quel sera l’impact sur l’un et l’autre de ce régime de fou au travail que vivent maintenant leurs parents? Cela, le cœur en peine, je vous laisserai le découvrir. Je vous le dis tout de suite, mais vous l’aurez déjà deviné : ce dernier film, du grand et socialement visionnaire Ken Loach n’est pas un divertissement. Mais dites-vous que les treize nominations dont ce film fut l’objet ne l’ont pas été sans fondement.

DÉSOLÉ DE VOUS AVOIR MANQUÉ fait suite au précédent film Moi, Daniel Blake de Ken Loach qui avait valu à celui-ci la Palme d’or du Festival de Cannes de 2016. Un film qui eut par la suite un destin spectaculaire, avec ses 700 projections par des organismes communautaires. Un film qui fit l’objet d’une rencontre du Ciné-psy en 2017, avec le stimulant et l’ultra-documenté commentaire de Jean-Yves Simard comme conférencier. Dans mon texte de chronique sur ce film, archivé sur le site cine-psy.com, je ne me suis pas gêné, dans le sillon de Loach, pour dénoncer ces mœurs actuelles qui contreviennent à la dignité de la personne humaine. Ce sera à vous, maintenant, après avoir visionné ce film et en avoir discuté ensuite avec vos proches, de venir partager avec nous vos réactions et vos réflexions lors de la rencontre du Ciné-psy qui fera suite à celle du 25 février dernier au cours de laquelle nous avons souligné le 25^e anniversaire de ces rencontres.