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Chroniques Les misérables

Les misérables

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Commentaire sur le film LES MISÉRABLES de LADJ LY
« Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine; […] tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.  »
Préface rédigée en 1862 par Victor Hugo pour son livre Les Misérables

LES MISÉRABLES DU TEMPS PRÉSENT
LES MISÉRABLES… À LA SUITE D'ANTIGONE : VERSIONS CONTEMPORAINES DE DRAMES ANCIENS
LES MISÉRABLES de Ladj Ly a plus d’un point en commun avec l’Antigone de Sophie Deraspe qui fut l’objet de la précédente chronique du Ciné-psy, mais ils s’en distinguent aussi. Tout comme le film Antigone met en scène une jeune femme d’aujourd’hui s’opposant avec force et courage à l’autorité du pays, à l’instar de l’Antigone des temps anciens (Sophocle, 441 av. J.-C.), LES MISÉRABLES nous fait voir des contemporains qui appartiennent à une classe sociale à part, défavorisée, soit une condition caractérisant les figures principales de l’œuvre magistrale de Victor Hugo dont l’histoire débute à l’orée du XIXe siècle. On pense ici aux émouvants personnages de Jean Valjean, Fantine, Cosette et Marius de ce roman!
LA RÉVOLTE DES JEUNES
Dans LES MISÉRABLES de Ladj Ly, la révolte sera le fait des jeunes de la cité, tout comme dans l’Antigone de Deraspe. Étéocle, l’un des frères d’Antigone, est tué sous le coup d’une bavure policière, et dès lors Antigone n’aura d’autre souci que de soustraire Polynice, son autre frère, au joug de la police. Le jeune Issa qui, dans LES MISÉRABLES de Ladj Ly, est poursuivi par la police pour avoir volé à des gitans un petit lion de la ménagerie de leur cirque est aussi victime d’une bavure d’un membre de cette police. De nombreux jeunes appuieront Antigone dans sa révolte contre l’autorité. De même, les congénères d’Issa prendront l’initiative de confronter violemment les membres de l’équipe policière concernée. Vous me suivez?
LES MISÉRABLES ET ANTIGONE : LES REPRÉSENTANTS SIGNIFICATIFS DE « L'AUTRE » EN NOS SOCIÉTÉS
Nous avons affaire, tant dans un film que dans l’autre, films qui incidemment ont eu l’heur pour l’un – Antigone – d’être choisi pour représenter le Canada dans la catégorie des films étrangers à la prochaine cérémonie des Oscars, et pour l’autre – LES MISÉRABLES – d’être choisi pour représenter la France dans cette même catégorie et pour cette même cérémonie. L’un et l’autre ayant ceci en commun d’orienter les projecteurs cinématographiques sur des jeunes qui signifient avec détermination leur ras-le-bol, leur dissidence, leur opposition à un mode traditionnel de gestion des conflits. Naturellement, tous les bien-pensants, de droite comme de gauche éventuellement, ne manqueront pas de dénoncer « l’immaturité », « l’irréalisme », le manque de « solutions pratiques » à un tel type de conflits (respect des lois et des coutumes, maintien de l’ordre, soumission à l’autorité politique vs justice sociale, respect de l’autre, ouverture au dialogue et à la réciprocité), mais il n’est pas déraisonnable de penser que cette émergence fulgurante de la révolte des jeunes puisse signifier la nécessité d’une « révolution dans le rapport à l’autre ». L’autre étant « l’étranger », le « réfugié », le « pauvre », le « laissé-pour-compte », le « banlieusard », … le « misérable »!
MONTFERMEIL : LIEU OÙ ONT GRANDI LA COSETTE DES MISÉRABLES DE VICTOR HUGO ET LADJ LY
Ladj Ly, réalisateur des MISÉRABLES, est né au Mali mais a grandi à Montfermeil, petite municipalité en banlieue de Paris, soit précisément le lieu où le Jean Valjean des Misérables de Victor Hugo fit la connaissance de Cosette, au moment où elle allait chercher de l’eau dans une source, sous les ordres du misérable aubergiste Thénardier. « Misérable » ayant ici cette autre connotation du mot, à savoir celui qui, abusant des autres, contribue à les maintenir dans la misère. Or, c’est également dans cette ville que Ladj Ly a réalisé ses premières vidéos, dont celle d’une violente arrestation commise par des policiers, source d’inspiration de ce premier long métrage qui lui vaudra le Prix du jury lors du dernier Festival de Cannes. On établira naturellement un parallèle entre le vol du petit lion Johnny qu’Issa avait commis pour amuser ses copains avec le vol d’un pain qu’avait effectué Jean Valjean pour nourrir les enfants de sa sœur, vols qui de part et d’autre leur vaudront des châtiments disproportionnés (traumatismes physiques et psychiques pour le premier et années de bagne pour le second). Là s’arrêteront mes comparaisons.
L'HYPOTHÈSE D'AMIN MAALOUF : L'HUMILIATION IDENTITAIRE COMME SOURCE DE LA HAINE DE SOI ET DES AUTRES
S’interrogeant sur les sources du marasme moral qui sévit actuellement dans le monde, un monde qui est dit grandement menacé tant par les scientifiques (climat), les politiciens (course aux armements) et les philosophes (perte de sens, recrudescence des fondamentalismes), Amin Maalouf, écrivain d’origine libanaise, émet l’hypothèse qu’un tel marasme n’est sans doute pas étranger à l’humiliation identitaire vécue par le peuple arabo-musulman lors de la guerre des Six jours. Du 5 au 10 juin 1967, soit en moins d’une semaine, l’État hébreu parvint à détruire l’aviation arabe, à défaire les armées égyptienne, syrienne et jordanienne, et à tripler son emprise territoriale. Selon Maalouf, le peuple arabo-musulman ne se serait jamais remis de l’humiliation alors subie par cette cinglante défaite. Et en conséquence de cela, les Arabes auraient développé une haine de soi ayant son corollaire dans la haine des envahisseurs et de tous ceux qui leur furent associés. Trouvant un refuge dans leur identité religieuse musulmane, les Arabes seraient devenus depuis, pour les Occidentaux, l’incarnation de l’envahisseur potentiel dont il faut se méfier et que l’on est désormais justifié de critiquer sous toutes les coutures. Cette thèse est à la fois simplement et brillamment exposée dans le dernier essai de Maalouf Le Naufrage des civilisations qui fait suite à son Identités meurtrières publié en 1998. Je ne saurais trop recommander la lecture de ces ouvrages qui sont à mes yeux de nature à fournir un remarquable éclairage sur les conflits qui opposent aujourd’hui la part la plus riche et la plus inconsciente de notre humanité à tous les banlieusards et laissés-pour-compte de nos sociétés. La différence inquiétante entre Les Misérables de Victor Hugo et les MISÉRABLES de Ladj Ly tient au fait qu’à la toute fin du film, on ignore encore si un Jean Valjean en viendra à se manifester pour ouvrir une voie possible de transformation du conflit en réconciliation et en coopération.
INVITATION
Vous êtes cordialement invités à une rencontre du Ciné-psy sur le film LES MISÉRABLES avec PIERRE BLAIS, chroniqueur cinéma au Magazine Le Clap et enseignant au Département de communication du Cégep Limoilou.

La rencontre du Ciné-psy aura lieu le 25 février 2020, de 18 h à 19 h (buffet) et de 19 h à 21 h 30 (conférence et échange) au restaurant L’épicurien situé au 1292, av. Maguire, à Québec. Tout changement à ce programme sera porté à votre attention dans les infolettres du Clap et du Ciné-psy ainsi que sur les sites Clap.ca et Cine-psy.com. Pour recevoir l’infolettre, communiquez votre adresse de courriel à Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. .

Coût d’entrée : 22 $ (général) • 18 $ (étudiant), incluant l’admission et le buffet.
Réservations : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. ou 418-683-0711 WWW.CINE-PSY.COM
 

CItation

« Après avoir fait courir les cinéphiles de Québec pendant 25 ans, l’heure est maintenant aux adieux pour les Rencontres Ciné-Psy. Un total de 125 rencontres ont eu lieu à travers toutes ces années, dont certaines ont mis en vedette des journalistes du Soleil.

 

C’était devenu une vénérable institution pour les amateurs de long métrage dans la Capitale-Nationale. «On avait des gens qui venaient à toutes les Rencontres, c’était de véritables fidèles», confie Marcel Gaumond, celui qui est derrière le projet depuis le tout début.

[...]

La formule des Rencontres était toute simple. Il s’agissait de réunions où l’on débattait d’un film et des enjeux qu’il soulève. La discussion tournait non seulement autour d’un long métrage, mais était aussi nourrie des propos d’un conférencier.

[...]

L’idée de génie lui est venue lors d’un souper avec le directeur du cinéma Le Clap de l’époque, Michel Aubé, en 1995. L’étincelle n’a pas été causée par les réminiscences des auberges de Zurich, mais bien par des souvenirs ancrés ici, sur le chemin Sainte-Foy. «Quand j’avais 19 ans, on avait fondé une boîte à chansons où il y avait eu non seulement des chanteurs, mais des expositions artistiques, du théâtre, etc. [...] Alors je dis à Michel, qu’est-ce que tu dirais si on faisait des rencontres, mais sous forme de discussions qui porteraient sur des films ?» raconte M. Gaumond. Des réunions à saveur artistique comme celles qui avaient lieu dans les boîtes à chansons, auxquelles on ajoute les discussions chaleureuses des auberges de montagne, voilà qui en faisait une idée très originale.

 

Semble-t-il qu’elle n’était pas trop éclatée pour M. Aubé, puisqu’il aurait tout de suite accepté l’offre. Ce fut un choix judicieux, car les Rencontres sont devenues très populaires au fil du temps. [...] »

 

Extraits de l’article « Les rencontres Ciné-Psy auront duré un quart de siècle »